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Abattage rituel et bien-être animal : le dilemme cornélien du législateur bruxellois

Stéphanie Wattier, Professeure à la Faculté de droit de l’Université de Namur

 

Après les Parlement wallon et flamand, c’est au tour du Parlement bruxellois de se pencher sur la question de l’interdiction – ou non – de l’abattage rituel d’animaux sans étourdissement préalable. A cet égard, l’on rappellera d’emblée que le bien-être animal est une matière qui a été régionalisée lors de la Sixième Réforme de l’Etat, ce qui explique les potentielles différences législatives d’une région à l’autre. En effet, là où les législateurs wallon et flamand ont décidé d’interdire tout abattage – même religieux – sans étourdissement, tel n’est pas le cas en Région bruxelloise où les partis politiques sont très divisés sur la question.

Outre les questions « belgo-belges » de répartition des compétences, il faut, en outre, tenir compte des compétences de l’Union européenne, notamment en matière de politique agricole commune. En 2009, l’Union a adopté un Règlement sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort qui, entré en vigueur en 2013, prévoit une possibilité (et donc pas une obligation) d’exception à l’obligation d’étourdissement en cas d’abattage religieux.

Le choix des Régions wallonne et flamande de prohiber l’abattage rituel sans étourdissement préalable a récemment été validé par la Cour de Justice de l’Union européenne et par la Cour constitutionnelle. Le recours est, désormais, pendant devant la Cour européenne des droits de l’homme. Il reste que la question est moins prégnante dans ces deux régions car la population de confession musulmane y est beaucoup moins nombreuse qu’en Région bruxelloise.

Toute la difficulté réside dans la conciliation entre, d’une part, la protection du bien-être animal qui est un objectif d’intérêt général de l’Union européenne et, d’autre part, la liberté de religion qui est consacrée par la plupart des instruments de protection des droits fondamentaux.

Pour concilier ces deux enjeux, il nous paraît inutile, de la part du Parlement bruxellois, d’auditionner pléthore d’experts scientifiques car l’ensemble des études scientifiques s’accordent pour considérer que les procédés d’abattage du culte musulman et du culte israélite font souffrir les animaux, en plus de les plonger dans un état de grande détresse lorsqu’ils réalisent qu’ils vont être égorgés. Le problème est que, dans la religion musulmane et la religion juive, il est exigé que l’animal décède du fait de son abattage, et non pas en raison de l’étourdissement préalable, ce qui se produisait parfois avec les anciens procédés d’étourdissement mécanique. Désormais, grâce aux progrès techniques, un procédé d’électronarcose qui est réversible (et donc non léthal) a été mis au point. Il permet de s’assurer que l’animal ne décèdera pas par étourdissement et sera seulement dans un état semblable au sommeil, ce qui fait qu’il ne se rendra pas compte qu’il est abattu et n’en souffrira en principe pas.

Il reste que cette méthode d’électronarcose ne fait pas l’unanimité au sein des communautés religieuses. Si elle semble acceptée par une partie des communautés musulmanes, elle est, en revanche, mal accueillie par les communautés juives qui exigent, en plus, afin que la viande soit casher, que l’animal soit conscient lors de son abattage.

L’on comprend dès lors la perplexité des législateurs : comment concilier bien-être animal et liberté de religion ? Il nous semble que la seule vraie piste de solution est celle du dialogue. Un dialogue entre les décideurs politiques et les représentants des cultes afin que chacun puisse comprendre les inquiétudes de l’autre. Il est difficile d’imaginer que les juifs et les musulmans ne soient pas, eux aussi, préoccupés par le bien-être animal. L’on soulignera également que, depuis 2021, le Code civil reconnaît que les animaux sont dotés de sensibilité. La protection du bien-être animal est non seulement un objectif d’intérêt général de l’Union européenne mais aussi de plus en plus présent dans les législations ces dernières années, à l’instar de l’interdiction de couper les queues des chiens et des chevaux, de l’obligation de stériliser les chats en Région wallonne, etc.

L’on rappellera que le dialogue entre les pouvoirs publics et les représentants des cultes est la solution qui avait été préconisée par le Conseil d’Etat fin 2020 lorsqu’il avait annulé un arrêté ministériel empêchant la tenue de cérémonies religieuses à cause de la pandémie. Un nouvel arrêté avait alors été adopté par le ministre compétent après avoir discuté avec les représentants des cultes reconnus et de la laïcité organisée.

En optant pour le dialogue, le législateur bruxellois se gardera au moins de deux risques : celui de se prononcer sur la légitimité des croyances des communautés religieuses, d’une part, et celui qu’il soit procédé à des abattages clandestins pour contourner les interdictions, d’autre part.

 

https://www.lesoir.be/441844/article/2022-05-12/abattage-rituel-et-bien-etre-animal-le-dilemme-cornelien-du-legislateur?

Pour une Autorité de protection des données indépendante et forte

https://www.lesoir.be/417055/article/2022-01-11/pour-une-autorite-de-protection-des-donnees-independante-et-forte

Une carte blanche, rédigée notamment par Elise Degrave, Cécile de Terwangne, et Yves Poullet dans le journal le soir du 11 janvier 2022

L’intelligence artificielle et l’analyse des données constituent à la fois une révolution technologique, une transformation de nos sociétés désormais numériques mais aussi un risque important pour nos droits et libertés. Certes, pour soutenir ses politiques, l’Etat doit pouvoir organiser des échanges de données qui concernent de nombreux aspects de notre vie (santé, famille, habitation, situation financière, etc.). En contrepartie, l’Union européenne a imposé la création dans chaque Etat d’une Autorité chargée de la Protection des Données des particuliers (APD). Or, dès sa mise en place et jusqu’à ce jour, les décideurs politiques belges n’ont eu de cesse de contrôler cette autorité « indépendante », de la contourner, de la dévoyer et d’ignorer ses recommandations. Les clignotants se sont multipliés ces derniers temps.

Trois clignotants

  1. L’Autorité de protection des données a pour rôle de contrôler l’Etat. L’Etat doit donc faire en sorte que l’Autorité de protection des données ne soit pas infiltrée par des membres se trouvant sous l’influence de l’Etat. Or, elle l’est, notamment par la présence − en son centre de connaissance − de celui qui dirige la Banque-carrefour de la sécurité sociale et la Plateforme eHealth, deux institutions ayant pour mission de gérer de larges bases de données dans les deux plus grands secteurs du pays. La Commission européenne a mis la Belgique en demeure de régulariser la situation avant le 12 janvier. Aucune démarche effective n’a été entreprise par l’Etat pour répondre à cette exigence précise. Le risque est grand que la Belgique soit assignée devant la Cour de justice de l’Union européenne d’ici peu.
  2. L’Autorité de protection des données doit obligatoirement être consultée au stade de la préparation de toute mesure législative ou réglementaire prévoyant le traitement de données à caractère personnel. L’objectif de cette obligation est de garantir que les normes en projet puissent passer sous le « scanner » d’une autorité spécialisée en la matière, qui peut alerter publiquement des dangers de certaines pratiques envisagées. Or, malgré un rappel explicite du Conseil d’Etat, l’Etat n’a pas consulté l’Autorité de protection des données au moment de l’extension du Covid Safe Ticket à l’ensemble du territoire. La Commission européenne est d’ailleurs saisie d’une plainte à ce sujet.
  3. L’Autorité de protection des données dysfonctionne. L’une des directrices de l’Autorité de protection des données, en charge du centre de connaissance, a récemment démissionné, dénonçant le fait qu’elle n’était plus en mesure d’exercer son travail en raison de l’absence d’indépendance de certains des membres.

En outre, comme le révélait Le Soir, depuis le jour même où la Belgique était tenue de transposer en droit interne la directive européenne instituant un régime de protection des lanceurs d’alerte, deux autres directeurs – dont l’une a elle aussi dénoncé à de multiples reprises les dysfonctionnements de l’institution – sont visés par une procédure de levée de mandat pour des motifs non identifiés publiquement. Or, si la Chambre devait lever le mandat de directeurs de l’Autorité de protection des données pour des motifs non transparents et non liés à la mise en cause de leur indépendance, ce serait aggraver le problème de la non indépendance de l’Autorité de protection des données au lieu de le résoudre. De plus, la procédure quasi juridictionnelle qui est mise en œuvre se mène à huis clos, ce qui soulève aussi des questions préoccupantes s’agissant du respect des droits de la défense.

Violation du droit

Ces multiples clignotants ne révèlent pas seulement un « estompement de la norme » mais un mépris ouvert et la violation caractérisée du droit par nos plus hauts dirigeants politiques. Alors que ceux-ci ne cessent d’en appeler à l’obéissance des citoyens et au respect des règles, ils s’en soucient peu eux-mêmes et s’en affranchissent dans un domaine pourtant reconnu comme très sensible pour les droits fondamentaux et les libertés des citoyens.

De tels comportements ne peuvent qu’aggraver la profonde méfiance et inquiétude des citoyens à l’égard de l’action politique dans un domaine sensible dont ils appréhendent, non sans raison, les risques pour leurs droits et leurs libertés.

En attendant que ces violations soient examinées par des juges, nous en appelons à la vigilance des citoyens, des observateurs et des académiques. Nous serons particulièrement attentifs au respect de l’intégrité et des compétences de cette autorité indépendante de contrôle, de la suppression des conflits d’intérêts en son sein et du respect des règles du procès équitable et des droits de la défense dans la procédure en cours devant la Chambre.

 

 

Vacciner, au mépris des lois ?

https://www.lalibre.be/debats/opinions/vacciner-au-mepris-des-lois-608178b19978e21698dc3c33

Jean-Michel Longneaux, philosophe, chargé de cours à l’Université de Namur.

               Mis à part les problèmes d’organisation et d’approvisionnement par les firmes pharmaceutiques, la campagne actuelle de vaccination semble se dérouler généralement bien. Toutefois des témoignages se multiplient qui doivent inquiéter : pour préserver ce bon déroulement, certains n’hésiteraient pas à enfreindre des lois pourtant fondamentales.

               Tout d’abord, des personnes acquises à la cause vaccinale semblent profiter d’une sorte d’impunité qui les autorise à harceler, à menacer et à mettre sous pression les hésitants, et à faire taire tous ceux qui osent poser des questions. Il n’est manifestement pas inutile de rappeler que la vaccination n’est pas obligatoire en Europe, et à fortiori en Belgique. Par ailleurs, la résolution du Conseil de l’Europe du 27 janvier 2021 défend sans ambiguïté la liberté vaccinale sans discrimination. On peut en effet y lire au point 7.3 que  « pour ce qui est d’assurer un niveau élevé d’acceptation des vaccins », il faut « s'assurer que les citoyens et citoyennes sont informés que la vaccination n'est PAS obligatoire et que personne ne subit de pressions politiques, sociales ou autres pour se faire vacciner, s'il ou elle ne souhaite pas le faire personnellement ; et de veiller à ce que personne ne soit victime de discrimination pour ne pas avoir été vacciné, en raison de risques potentiels pour la santé ou pour ne pas vouloir se faire vacciner. »

               Les personnes qui refusent d’être vaccinées ne commettent donc rien d’illégal, tandis qu’il est manifeste que les harceleurs qui font pression, en particulier sur le lieu du travail, contreviennent à la loi de juin 2002 sur le harcèlement moral et pourraient, le cas échéant, s’exposer à des poursuites. Pour rappel, le harcèlement moral au travail se caractérise par « des comportements, des paroles, des intimidations, des actes, des gestes et des écrits unilatéraux, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’un travailleur (…) », par le fait de « créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Cette définition correspond en tous points aux témoignages de travailleurs, notamment dans le monde de la santé, qui reconnaissent ne plus oser exprimer leur point de vue, et même s’être laissé vacciner contre leur volonté pour en finir avec les pressions exercées sur eux. D’autres ont démissionné ou disent être sur le point de le faire tant la violence subie est devenue insupportable. Même si ces cas étaient rares, ils seraient suffisamment graves pour être dénoncés en justice. Et ils devraient d’ailleurs l’être tout autant s’ils étaient le fait de non vaccinés ou d’anti-vaccins à l’encontre des vaccinés.

               Ensuite, tant qu’elle n’est pas obligatoire, la vaccination repose sur le libre consentement tel que le prévoit l’art. 8 de la loi de 2002 sur les droits du patient : « Le patient a le droit de consentir librement à toute intervention du praticien professionnel moyennant information préalable. » Ce principe est en effet d’application y compris pour des personnes en bonne santé qui veulent bénéficier de soins préventifs. Mais est-il respecté ? La liberté ne devient-elle pas théorique quand les décisions sont prises non pas parce qu’on les choisit en conscience mais parce qu’on n’en peut plus de vivre dans la peur, parce qu’on ne supporte plus les restrictions des libertés ou, comme on vient de l’indiquer, parce qu’on veut échapper aux pressions subies ? Dans de telles conditions, ne devrait-on pas plutôt parler de consentement forcé ?

               Quant aux informations fournies pour se faire une opinion, sont-elles toujours loyales ? La loi précise au § 2 du même article 8 quelles informations doivent être transmises : elles portent sur « l'objectif, la nature, le degré d'urgence, la durée, la fréquence, les contre-indications, effets secondaires et risques inhérents à l'intervention et pertinents pour le patient, les soins de suivi, les alternatives possibles et les répercussions financières. Elles concernent en outre les conséquences possibles en cas de refus ou de retrait du consentement (…) ». La loi exige donc que l’on communique au patient ce que l’on peut espérer positivement de la campagne de vaccination, mais aussi ses limites et risques éventuels. Les données officielles fournies par les firmes pharmaceutiques suffiront : elles reconnaissent elles-mêmes de nombreuses inconnues concernant les risques à moyen et long terme, mais aussi à propos de l’efficacité de leur produit dans la durée et par rapport aux variants, et le fait qu’on est toujours en phase d’expérimentation (jusqu’en 2023 ou 24 selon les firmes). Il convient aussi d’informer en toute objectivité et avec la même rigueur critique sur les alternatives préventives et curatives existantes. Manifestement il arrive qu’on ne prenne pas toujours le temps de s’assurer que ces informations sont connues de chacun partout où la vaccination est organisée. Chaque fois que c’est le cas, c’est l’article 8 de la loi sur le droit des patients qui est violé.

               Enfin,  il n’est sans doute pas inutile de rappeler que la vaccination, comme tout autre soin, relève de la vie privée (même si son but est d’ordre public). Personne, pas même au travail l’employeur, ne peut forcer quiconque à déclarer s’il est ou pas vacciné. Ne doit-on dès lors pas s’étonner qu’en certains lieux, tout est fait pour connaitre la position de chacun et critiquer publiquement celles et ceux qui sortiraient du rang ? Quant aux données personnelles collectées à l’occasion de la campagne de vaccination, elles sont également soumises à  la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel  (RGPD). Il est prévu dans cette réglementation que l’usage qui sera fait de ces données doit être expliqué et recevoir l’approbation de chaque citoyen concerné. A entendre des personnes vaccinées, il semble que là aussi la communication ne soit pas toujours optimale.

               On peut être convaincu par la nécessité impérieuse de la campagne de vaccination. On peut y voir une forme de solidarité vis-à-vis des plus faibles et l’exercice d’un devoir civique. Mais rien n’autorise que certains compromettent ces nobles motivations en bafouant ouvertement les principes du consentement éclairé et du respect de la vie privée. Quant à ceux qui refusent de se faire vacciner, quand bien même on ne serait pas d’accord avec eux, rien ne justifie qu’ils soient culpabilisés, stigmatisés ou menacés. Que vaut en effet la morale de la solidarité ou le civisme que l’on prétend défendre si en leur nom, on justifie la contrainte, le harcèlement et l’exclusion de ceux qui souvent ne s’opposent pas au principe de la vaccination mais privilégient d’autres réponses et donc d’autres formes de solidarité pour faire face à la crise actuelle ? Après tout, chacune ayant ses limites, c’est peut-être la multiplication des approches qui nous donnera la victoire.